La voix chevrotante a l'accent pakistanais de la vieille dame ne se fit pas prier pour engager la conversation.

- Bonjour monsieur Martin. Je suis surprise que cela ne soit pas monsieur Mendoza comme à l'ordinaire. Est-il malade ? Non parce que quand je l'ai vu la semaine dernière, il n'avait pas l'air d'être dans son assiette. Je lui avais dit pourtant de ce ménager surtout à son âge. Mais il est aussi têtu que mon Shahid. Shahid est mon époux, une vraie tête de mule je ne vous raconte pas. Lorsqu'il a une idée en tête, c'est impossible de la lui retirer. Et bien monsieur Mendoza, il est exactement comme lui. Enfin, vous le connaissez sans doute bien mieux que moi puisque c'est votre collègue. Bref, il est malade n'est ce pas. La grippe ? Non non ne me dite rien, je suis certaine que c'est la grippe. Je lui avais dit de bien se couvrir à cette époque de l'année mais, il ne supporte pas de mettre une écharpe. Pourtant, je lui en ai tricoté une belle pour les fêtes. Dans des teintes claires. Un magnifique gris et du rouge aussi. Parce que le rouge c'est sa couleur préférée. Eh bien, il a accepté le présent mais il a refusé de la mettre durant son intervention chez madame Jimenez, vous savez la veuve du 505. D'ailleurs la pauvre, elle s'est cassée la jambe en glissant sur le trottoir à cause du verglas. Je ne cesse de me plaindre chaque hiver à la mairie pour que ces derniers fassent un effort supplémentaire avec le salage des trottoirs pour éviter ce genre d'accident mais vous croyez qu'il écoute une vieille dame. Pourtant à nos âges, cela peut nous être fatal ! Vous êtes d'accord avec moi n'est ce pas ... Enfin en tout cas, les jours de madame Jimenez ne sont pas en danger heureusement. Elle s'en tire avec un plâtre et doit conserver le lit durant un bon mois, elle a bien de la chance que sa cadette puisse venir séjourner chez elle le temps que dure sa convalescence afin de l'aider dans les tâches quotidiennes. Une brave fille vraiment parce que moi même si je devais compter sur mes enfants pour me venir en aide et bien je ne suis pas prête de faire grand chose dans la maison ...  

Si monsieur Martin désirait obtenir une réponse à sa requête, il lui faudrait couper la parole à Madame Payall !

Oh putain, je l’avais oublié celle la. Non en fait je l’avais pas oublié. Mais disons que je me souvenais plus que c’était a ce point là. Le pire c’est que la je vais avoir des infos sur tout le quartier sauf Lesley. Oh putain faut vraiment que je sois au bout de ma vie et mort d’inquiétude pour celle qui a partagé ma vie pour m’infliger cela. En fait il y a plein de choses que je fais fait et ne ferait que pour elle. Je galère a mort pour en placer une.  

Non en fait j’en chie parce que je ne suis pas fait, comme n’importe quel mec normalement constituer, pour écouter une telle diarrhée verbale avec attention. J’ai juste envie de la secouer et de lui dire ta gueule et dis moi ou est Lesley, mais c’est pas comme ça que j’arriverais a quelque chose.

« Madame Payall c’est un plaisir de discuter avec vous, je transmettrais votre salut a Monsieur Mendoza quand il sera remis. Excusez moi d’insister mais j’ai une équipe qui attend mon feu vert. Pourriez vous me dire comment contacter votre voisine du 1906 Dumaine St, Melle Wheeler ou Mr Dundregann ? »

Allez la commère, parle moi de ce que je veux entendre. Dis moi ou elle est ????? Dis moi qu’elle va bien, qu’elle est heureuse, qu’elle a un amoureux qui sait prendre soin d’elle sans la violer, qu’elle m’a complétement oublier pour partir dans un quartier chic et construire tout ce qu’elle pouvait rêver de construire….

« C’est très important Mme Payall et Monsieur Mendoza m’a assuré que vous étiez une voisine de confiance dans ce quartier. »

C’est vil, mais vous sauriez ce que l’on sait obtenir avec de la flatterie.  De toute façon je ne sais pas lui foutre des mandales a distance alors, il va bien falloir essayer la technique de l’autre baltringue qui jappe partout avec Nathalia.

La voix toujours chevrotante a l'accent pakistanais de la vieille dame ne se fit pas prier pour poursuivre la conversation.

Oh ! Nous n'avons plus revu le jeune Dundregan dans le quartier depuis des années. Il est partie sans même un au revoir comme ça du jour au lendemain vous savez. Des tonnes de rumeurs ont circulé à son sujet d'ailleurs. Tous abracadabrants et invraisemblables évidements. Il faut bien avouer que sa mauvaise réputation a été d'une bonne aide aux moins imaginatifs. Enfin ! Il ne faut pas croire tout ce que vous entendrez sur son sujet Monsieur Martin. En vérité, Elric était un jeune homme assez serviable. Il acceptait toujours de réparer mes appareils ménager lorsque ces derniers tombaient en panne. Il jetait aussi régulièrement un œil au moteur de la vieille Pénélope. C'est le vieux pick-up de mon époux, une véritable antiquité dont il refuse de se séparer. Grâce à lui, elle roulait encore correctement cette bonne vieille Pénélope mais depuis qu'il a disparu, bah ce n'est plus vraiment la même histoire désormais. Et puis, nous n'avons plus vraiment les moyens de payer un professionnel avec notre maigre retraite. Au moins avec lui, il suffisait que je passe quelques heures derrière les fourneaux afin de le remercier pour son aide. Ah oui ça on peut dire qu'il nous manque vraiment le Elric. Je me demande où il se trouve actuel ... J'espère qu'il va bien et qu'il n'est pas dans les ennuies jusqu'au cou.
 
Comment pouvait-on employer autant de mots sans pour autant répondre à la question posée initialement ? Monsieur Matin allait devoir être patient ...

J’ai plein de qualités, enfin, je dois bien en avoir une ou deux biens cachés, mais une chose est sur la patience n’est pas sur la liste et ma voisine qui me vrillait déjà les nerfs a l’époque a ne pas vouloir comprendre qu’un mécanicien ne répare pas les grilles pains, radio, tv … et a réussir a me faire bouger mon cul pour qu’elle arrête de me saouler. Pis j’étais pas serviable d’abord, j’étais un voyou !! Non mais ho. Bon ça m’agace de pas avoir de réponse sur Lesley mais, j’avoue, c’est possible que ca me fasse étrange que quelqu’un dise du bien de moi ou s’imagine que je pourrais lui manquer. La vieille devient vraiment sénile avec le temps. Et non je refuse de m’inquiéter pour elle aussi et d’aller lui demander si son petit fils continue de passer pour l’aider a faire ses courses.

« Bien je note de retirer le nom de Dundregann du contrat. Et qu’en est il de Mademoiselle Wheeler ? »

Je commence a me dire que ca aurait été plus rapide de prendre un billet d’avion et d’aller moi-même voir ce qui s’est passé dans la maison. Ceci dit en passant, ca reste une option a laquelle je pense vraiment.

La voix toujours chevrotante a l'accent pakistanais de la vieille dame ne se fit pas prier pour continuer la conversation.

- Oui ! Vous devriez faire cela effectivement. Je ne pense pas qu'il revienne un jour s'installer dans le quartier. Ce qui est vraiment dommage d'ailleurs car depuis qu'il n'est plus là, sa demeure est devenu un vrai lieu de squatte. Parfois quelques autres femmes mais le plus souvent, son ancien colocataire ne reçoit que des hommes. Enfin, ne pensez pas que j'insinue que la jeune Lesley est une traînée hein. Elle n'a pas l'air d'être ce genre de femme mais c'est tout de même étrange de recevoir autant de personnes en soirée tout au long de la semaine. Si encore elle ne recevait que les week-ends, je ne trouverais rien à y redire. Elle est encore jeune et ne souhaite que s'amuser c'est compréhensif. Mais ce n'est pas vraiment responsable le reste du temps. Je ne sais pas comment elle fait pour se lever le matin afin d'aller travailler. Moi à son âge, j'aurais été morte de fatigue. En même temps à cette époque-là nous avions déjà trois enfants avec mon époux alors la fête n'était pas vraiment au programme. Trois beaux garçons en bonne santé et pleins de vie c'est épuisant au quotidien, je peux vous le dire. Enfin, vous avez peut-être des enfants Monsieur Martin ! Dans ce cas, vous comprenez ce que je veux dire. Et puis, c'était aussi une autre époque aux mœurs différentes. Les critères d'alors ne sont plus vraiment actuels de nos jours. C'est pour ça que je ne la juge pas aussi durement que ma grand-mère l'aurait fait dans une situation similaire. Ah ça ! On peut dire qu'elle n'était pas très tendre feu ma vieille mamie. Elle n'avait pas eu la vie facile il faut bien l'avouer et ce sont ses événements là qui ont forgé son caractère d'acier. Il fallait filer droit avec elle sinon ça ne rigolait plus, mes frères en ont pris des taloches dans le derrière à chaque bêtise commise. Moi-même, je n'étais pas épargnée non plus. Je pourrais vous en raconter des belles de mon enfance ...

Il était peut-être temps de l'interrompre sinon la conversation durerait des heures et des heures.

Je ne sais pas trop a quoi je m’attendais comme réponse mais j’avoue, que je n’avais jamais imaginé ma Lesley en fêtarde et que… bah… heu… enfin… c’est mieux comme ça non ? Plutôt qu’elle soit restée seule et brisée après ce que je lui ai fait elle a visiblement vite et bien repris le dessus. J’ai du mal a comprendre pourquoi ce qui airait du être un soulagement semble susciter une sentiment plus mitigé que ça ?

Peut être qu’elle m’a juste oublié. Quelque part ça serait le mieux… pourtant… non ça va pas. N’allait pas imaginer que je suis en train de recevoir une plaie dans mon amour propre, depuis que je suis une bête qui a violée Lesley, je ne sais plus ce que ce mot veut dire. Ce qui me dérange est plus vicieux, plus sournois et moins palpable. A un moment j’avais même envisagé de payer un sorcier pour effacer mon existence de la tête de Lesley, il semblerait qu’elle n’ait pas eu besoin de cela pour se remettre et c’est tant mieux.

Sauf qu’elle a toujours été d’un tempérament « plus sage » que moi. J’ai tellement du mal a imaginer celle qui faisait la guerre ou bordel faire fête sur fête que ça me titille. Certes je préfère, aussi, mille fois ça a apprendre qu’elle est morte ou en galère, mais ça n’explique pas pourquoi elle ne prend plus l’argent que je lui envoie. Ouai vous voyez que ca a rien mais alors rien a voir avec de la déception ou de la jalousie. Si elle est heureuse, je vous jure que je le serais sincèrement aussi. Enfin je ferais tout pour. Et voila que la vieille qui est repartie dans ses délires, va falloir la recadrer... encore.

« Ça aurait été avec plaisir Mme Payall, mais je dois avant coordonner mon équipe d’intervention. Je suis désolé d’apprendre que votre voisine vous fait souffrir de tapage nocturne. Ces jeunes qui aiment faire la fête sont compliqués a gérer. Savez vous comment je pourrais la joindre ? Elle ne réponds pas au téléphone ? Peut être s’est elle absentée ? »

Ouai, parce qu’en prime, dans toutes les grandes qualités humaines de cette voisine, il y a aussi le fait qu’elle passe sa journée à la fenêtre à jouer à la concierge. Impossible de rentrer chez moi sans qu’elle débarque avec son grille-pain, sa radio ou le vibro de sa petite fille qu'elle pensait être un masseur de visage, ouai c'est crade, à réparer à l’époque, même en essayant de me planquer. Elle était pire qu’un chien de garde.

La voix toujours chevrotante a l'accent pakistanais de la vieille dame ne se fit pas prier pour prolonger la conversation.

- Comment joindre la jeune Lesley ! Si vous n'y parvenez pas par téléphone peut-être devriez-vous essayer par un courrier ou un e-mail Monsieur Martin. Si vous préférez, je peux lui transmettre un message de vive voix lorsqu'elle rentrera du travail. Elle se lève généralement très tôt et rentre toujours tard de son travail, c'est peut-être tout simplement pour cela que vous ne parvenez pas à la joindre en journée. Et à ma connaissance, elle ne possède pas de téléphone portable. Une chose qui m'a toujours étonné d'ailleurs surtout pour une jeune femme de son âge. Après tout, les jeunes et la technologie ne font qu'un de nos jours. Toujours le nez collé sur leurs écrans à longueur de journée à renseigner leur moindre faits et gestes sur la toile. Vous intervenez afin de mettre le système aux normes pour la futur location de la maison au faite ?

Aïe ! Voilà que la vieille madame Payall s’apprêtait à quémander des ragots à présent.

Là je crois que je viens de me prendre un sceau de glaçons dans la gueule après avoir pris les glaçons sur la tête. La vielle m’a perdu mais j’ai cette fâcheuse tendance a traduire au pire ce qui devrait être, je le pense, pour un esprit sain, la preuve que ma source d’info est complétement à l’ouest. De l’image de la fêtarde insatiable voilà qu’elle m’oppose celle de la femme rangée qui a un taff a plein temps régulier… bordel avec la thune que je lui envoie elle ne devrait pas avoir besoin de travailler. Quant a cette histoire de louer la maison… mais c’est quoi ce bordel !!!!?

Ca ne colle tellement pas avec l’image de la Lesley que j’ai ramassée dans un quartier de merde alors qu’elle avait des emmerdes jusqu’au cou. Elle devait squatter que quelques nuits et puis, bah elle est jamais repartie, enfin, jamais jusqu’à maintenant du moins. Je sais pas trop comment elle avait fait, mais même si je râlais parce qu’elle avait plein de manies chiantes, plein d’idées à la con et cette capacité inouïe de me faire faire même ce que je voulais pas, j’adorais qu’elle soit là. On évitait de se poser des questions sur nos passés ou sur ce que l’on faisait hors de cette maison, mais je peux vous assurer qu’elle ne taffait pas plus que moi vue la galère pour payer les factures et bouffer correctement.
Après, on y arrivait et le pire, c’est que malgré cette vie un peu au jour le jour, avec les incertitudes de ce que je saurais ramener, de savoir si j’aurais un vrai taff, avec mes rêvés idiots d’un jour acheter un garage a moi, les emmerdes avec mon agent de probation et ma vengeance, j’étais vraiment heureux. J’aurais tellement aimé que ca continue.

Petit a petit je me suis détourné de ma quête de vengeance, préférant les soirées affalés l’un sur l’autre, vautrés sur le canap a nous foutre de la gueule des 1ere rôle des nanard qui passaient à la téloche ou a refaire ce monde de merde a coup de joutes verbales.  C’était mes meilleures moments de la journée. Ouai, vous lisez bien, c’était mieux que finir entre les cuisses de la bonnasse du moment qui, sur un malentendu, avait eu envie de se faire sauter par un vaurien.

Ca ne colle tellement pas avec la femme qui a transformé son intérieur en boite de nuit ou en buisness woman investie dans son taff. Après cela fait tant de temps… elle a peut être besoin de quitter cette baraque qui a été le témoin de son viol et le musée de sa vie avec son agresseur. Le traumatisme l’a peut être fait changer… J’aurais dû payer une Potter pour m’effacer de sa tête et lui mettre une jolie histoire à la place.

Plus la vieille cause, plus j’ai l’impression d’être le mec dans le désert qui a pas bu depuis des jours et qui est devant un distributeur qui lui demande plein de connerie genre « plate, ou gazeuses » avant de lui sortir qu’il n’y a plus que des kinder buenos. Une façon imagée de dire que ca va mal. De façon un peu mécanique je me reprends en sachant que je ne sais pas me contenter de ces informations.

« Et bien Madame Payall, vous êtes une bénédiction pour moi, je vois que mon dossier n’est absolument pas à jour. Mme Wheeler est notée dans nos dossiers comme étant sans emploi et je n’ai aucune mention sur une location à venir. Peut être auriez vous la gentillesse de m’en dire plus que je procède a une mise a jour ? Savez vous quel emploi elle occupe ? Je saurais peut etre la joindre sur on lieu de travail. Et aussi quelle agence gère la location ? »

Bénédiction… bénédiction… c’est vite dit, mais au moins, j’ai l’intelligence de savoir que je suis le seul coupable dans mes déboires.

La voix toujours chevrotante à l'accent pakistanais de la vieille dame ne se fit pas prier pour répondre aux dernières questions de monsieur Martin. Madame Payall eut même un petit gloussement de rire en réaction au charmant compliment à son égard.

- Oh ! Ce n'est pas grand-chose vous savez. Si je peux me rendre encore utile à mon vieil âge c'est un véritable plaisir. Lesley est serveuse dans un Diner. Euuuh je crois que l'établissement se nomme le Moondance Diner mais je n'en suis par certaine à cent pour cent. Par contre, j'ignore totalement à quelle agence elle a pu faire appel pour gérer la location de la maison. Vous m'en voyez navrée ! Puis-je vous être encore utile à quelque chose ?